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©2007 Michel EMBARECK.
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JOYEUX ANNIVERSAIRE, CHERIE
Nouvelle publiée dans le recueil édité par le festival de Mauves sur Loire en 2003

Par Michel Embareck



Non d'une pipe ! Non d'une pipe à quatre cent mille balles ! Soixante mille euros et des poussières en monnaie d'aujourd'hui. Autant en dollars. Pour une gâterie, une turlutte, comme on dit entre hommes. Une fellation selon le juridiquement correct qui arrache la gueule de madame le président du tribunal correctionnel. Et pas taillée par Sharon Stone ou Madonna. Quarante barres, putain de bordel ! Qui dit mieux ? L'Aga Khan ? Bill Gates ? Une pipe digne du Livre des records sans pouvoir en tirer la moindre publicité. Joyeux anniversaire, ma chérie ... Tu parles ! Maudit, je suis maudit… Presque ruiné. A cause d' une bagnole. Moi qui, en ville, ne me déplace qu'en vélo. Qu'est-ce qui m'est passé par la tête ????? J'aurai du suivre des cours de théâtre d'improvisation plutôt que ceux de la fac de droit.
Mes malheurs ont commencé hier soir. Quoique, en y réfléchissant… La faillite en tailleur Saint Laurent a passé la porte de mon cabinet un lundi lorsque dans l'interphone la secrétaire m'a annoncé l'arrivée de Madame Van Hoedonck. Christelle Van Hoedonck. La belle-fille. Pièce rapportée certes, n'empêche qu'elle portait le nom. Ici, à Morsaing, par ses différentes branches, la famille règne sur les chais et les haras, la mairie et le conseil général, la chambre de commerce et Les Dépêches, le quotidien local. Je n'entretiens pas de mauvaises relations avec eux, bien au contraire, nous appartenons au même club du Rotary mais depuis des générations, les Van Hoedonck confient leurs intérêts à mon confrère, le bâtonnier Hardy. Qu'un membre du clan prenne rendez-vous auprès de moi paraissait étonnant. Et lorsque celui-ci apparut dans l'embrasure de la porte, j'en suis resté, comment dire, le souffle suspendu au lustre à la façon d'un fil de la vierge dans une brise de printemps.
Ce n'était pas un dossier juridique très compliqué. Epouse du fils aîné des Van Hoedonck, Christelle et son mari souhaitaient divorcer. Par consentement mutuel. Pas de quoi ameuter Vergès ni la Ligue des droits de l'homme.
- Evidement, Jean-Charles a choisi maître Hardy et j'ai failli en faire autant, a t-elle susurré. Au dernier moment, j'ai craint que, heu, vous comprenez, la famille est tellement proche de votre collègue… Après tout, je ne suis une Van Hoedonck que par alliance… Il m'a semblé qu'un avocat plus indépendant serait une garantie d'équité.
Tandis que nous ébauchions un protocole tel qu'elle en avait convenu avec son mari, je ne pouvais m'empêcher de la reluquer par dessus mes lunettes. Le genre de femme que tout homme rêverait d'habiller de baisers et de caresses, une brune charnue à la trentaine bien entamée. La voix assurée, l'humeur guillerette démontraient une aptitude à affronter l'épreuve sans y voir la fin du monde.
A la façon dont l'accord semblait établi entre les époux, je n'aurais dû la revoir que le jour de la conciliation. Et puis Hardy s'en est mêlé.
- Dis donc, notre divorce Van Hoedonck, m'a-t-il glissé un matin à l'ordre des avocats, il ne va pas nous rapporter un clou. Au mieux, huit mille balles chacun TTC... Si on montait une mayonnaise. Je mégote sur la prestation compensatoire, tu chipotes pour la garde des gosses, et au bout du compte, on triple la mise ! Crois-moi, les riches connaissent le prix de la qualité. Un divorce au tarif de l'aide juridictionnelle à laquelle ont droit leurs employés les ferait douter de nos compétences respectives !
Dans le mille, Emile ! La procédure qui aurait du être réglée en deux coups de cuillère à pot s'est éternisée, corsant d'autant l'addition des protagonistes. A plusieurs reprises, il m'a fallu recevoir Christelle, lui faire part des exigences sans cesse changeantes de son ex-mari et chaque fois élaborer une contre-proposition. Pour aboutir, un an plus tard, à un accord strictement identique aux décisions que le couple avait prises lors de sa séparation. Evidement, au fil de nos rendez-vous professionnels, le trouble éprouvé lors de sa première visite s'est mué en désir insidieux.
Maintenant, je comprends le sens exact de ce que les Africains appellent " l'argent-braguette ". Une paille de presque un demi bâton. Lourd, très lourd, le bâton ! Même dans la comptabilité d'un avocat prospère, ça ne se trouve pas sous les sabots d'un cheval. Comment maquiller les comptes ? Pas question de liquider une partie de mon portefeuille d'actions. Ce fric, après tout, ce sont des frais professionnels collatéraux.
Au lendemain du divorce, l'ex-madame Van Hoedonck m'exprima sa gratitude par une invitation à déjeuner à la brasserie de l'Univers. De la terrine aux truffes et sa garniture de banalités nous passâmes progressivement aux confidences sur île flottante. Une heure plus tard, j'achetais une boite de Durex à la pharmacie Centrale.
Christelle n'est pas vraiment un top model, juste une brune opulente dans sa pleine maturité, joyeuse, drôle et pratiquant l'amour comme une distraction gratuite. Une bonne nature. Rien à voir avec Marie-Laure, ma femme, à qui une main aux fesses semble le comble de la canaillerie.
Hier soir, je m'apprêtais à brancher l'alarme du cabinet, lorsque Christelle m'a appelé. Avais-je le temps de jeter un oeil sur le compromis de vente qu'elle venait de signer pour une fermette en Bretagne, un bled au nom bizarre, Mauves-sur-Loire, je crois ? Bien sûr, il y avait ce dîner à la maison avec les Roure, un couple de joailliers mais derrière le coup de fil sourdait le besoin d'un petit réconfort. Et puis, comme disent les juristes, con promis, chose due ! Dix minutes plus tard, les freins de mon vélo couinaient en bas de chez elle. Catastrophe ! Un robinet de la salle de bains venait de rendre l'âme et me voilà, cravate défaite et en bras de chemise, clef à molette à la main, à jouer SOS Plombier. Mine de rien, la réparation a pris plus d'une heure alors qu'à la maison les invités devaient déjà s'essuyer les pieds sur le paillasson.
- Désolé, mais je suis attendu, ai-je glissé à Christelle alors qu'elle me remerciait d'un patin aux effets instantanés.
- Je ne peux pas te laisser partir dans cet état !, a-t-elle gloussé en vérifiant du bout des doigts la constance de ses capacités aphrodisiaques. Laisse-moi passer l'oral, comme disent les jeunes aujourd'hui ! J'ai lu ça dans un magazine.
A ce prix là, quarante patates, ç'aurait pu être le grand oral de l'ENA... Les cris en prime. En amoureuse du travail bien fait, Christelle a pris son temps puis, jetant un oeil sur la pendule, m'a tendu les clefs de sa nouvelle voiture, un cabriolet BMW M3, six cylindres en ligne de 3.2 litres et 24 soupapes. Une bombe. Dommage qu'elle l'ait choisi rose. J'ai laissé ma bicyclette au pied de l'immeuble, promettant de lui ramener l'engin le lendemain en début de matinée. J'espérais pouvoir me garer dans une ruelle proche de la maison où jusqu'à une heure tardive brille l'enseigne d'une épicerie arabe. Par chance, une place se trouvait libre juste devant le commerce.
- Ciel, mon mari ! a roucoulé une voix dans mon dos au moment où je claquais la portière.
Marie-Laure. Ma femme. Elle se tenait sous l'auvent, une bouteille d'huile à la main.
- Eh bien, quelle est donc cette superbe voiture ? J'adooooooore ce genre de turve comme disent les enfants. Mais si tu veux mon avis, pour un homme, le rose fait un peu, tu vois ce que je veux dire, olé, olé ...
Je suis resté planté au bord du trottoir tel une endive trop cuite, les clefs au bout des doigts
- C'est quelle marque ? Une Fiat , une Japonaise ? m'a t-elle interrogé. Tu sembles tout chose mon chéri... J'ai dit une bêtise ?
- Heu, non, je comptais te faire la surprise. N'est-ce pas ton anniversaire après demain ? Il faut juste que je fasse muter la carte-grise à la préfecture. Elle s'est jetée à mon cou pour un baiser hors de prix.