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©2007 Michel EMBARECK.
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PREMIER BUREAU A DROITE


La décision s’est imposée un peu avant minuit. Désormais, je serais de droite. Alors que Nicolas Lenain-Kossar venait d’être, sans surprise, élu président de la République, les Socialistes donnaient, d’une chaîne à l’autre, l’image de l’armée de Bourbaki défiant le général Patton au 421. Bien joli de s’affirmer de gauche et même de n’avoir jamais compris comment on pouvait se revendiquer de droite. Arrive cependant un moment où prendre une ratatouille à chaque scrutin génère un insupportable sentiment d’exclusion qui relativise les convictions. Moi aussi je voulais sauter dans les fontaines de l’Hôtel de Ville en brandissant un drapeau tricolore. Peut-être même remonter l’avenue du 14 Juillet, klaxon bloqué tel un Italien à la bourre le jour de son mariage.  
En vérité, je me sentais dans la peau d’un inconditionnel des Verts de Saint-Etienne, un type dépositaire d’une légende sympathique mais désormais supporteur d’une équipe définitivement hors du coup au moment de disputer le titre. Sans Mitterrand je me serais senti dans la peau d’un supporteur du Stade de Reims au temps de la SFIO… N’importe quel directeur des ressources humaines, lecteur de France Football, aurait compris. Pas question de retournement de veste. Juste une positive attitude face à une imminente dépression.
Après avoir repoussé ma femme, indéfectible centriste qui  ronflait au milieu du lit, un sommeil agité m’engourdit par intermittence. Comment agir en type de droite ? D’ailleurs, cette interrogation ne contenait-elle pas un pléonasme ? L’action appartenait à la droite pendant qu’à gauche on entretenait des querelles de chapelle alimentées par d’interminables discutailleries. Le seul comportement authentiquement de droite aurait été de virer cette mollassonne du plumard. Pourquoi ne pas l’exproprier de la chambre ou la reconduire à la frontière de la cuisine ? A moins de tenter l’ouverture… La famille, nombreuse de préférence, ne constituait-elle pas un des trois piliers de la droite ? Le frôlement de ma main sur la lisière de dentelle de sa chemise de nuit n’eut pour effet qu’un redoublement des ronflements. Effectivement, un authentique converti à la rupture prônée par le président Lenain-Kossar aurait joui, benaise, de cette nuit au creux d’un grand lit pour lui tout seul. Au lieu de quoi je me suis collé la tête entre le traversin et un oreiller tel un faux cul de rad’soc.  

En sortant de la salle de bain, j’ai cru que Véronique allait s’évanouir. En tout cas, elle poussa le piaillement hystérique de l’ingénue surprise au coin du bois par un exhibitionniste bossu, poilu, borgne, crade, manipulant son engin éléphantesque d’une main, un couteau de boucher dans l’autre. Evidemment, en douze ans, elle s’était habituée à ma tignasse en friche, parfois ramenée en catogan au moment de partir au travail.Mais, mais, bafouilla-t-elle, laissant choir une biscotte barbouillée de confiture d’orange dans un bol de chocolat.
- Qu’est-ce, qu’est-ce, qu’est-ce qu’il…
- Rien ! Je suis de droite. C’est tout !
- Hein ?
Oui, tu m’as bien entendu. Je suis de droite, à fond derrière notre président chéri bien aimé Nicolas Lenain-Kossar. A tâtons, sans me quitter des yeux, elle chercha ses lunettes entre la corbeille à pain et le transistor tandis que je me polissais le crâne avec un soupir chargé d’érotisme.
- Et ça nécessite de se raser la tête ?
- Bien dégagé derrière les oreilles, voilà la coupe règlementaire depuis hier soir, vingt heures.
- Là, t’es carrément à la droite de Gengis Khan…
En vérité devant la glace, je m’étais essayé, armé d’une paire de ciseaux, à un léger rafraîchissement capillaire soldé par une coupe de pécheresse germanophile tombée entre les mains des FFI. Ce pays de droite aspirant au changement, la tondeuse du rasoir électrique fit table du passé.  
- Tu ne trouves pas que ça me rajeunit ?, j’ai avancé en bombant le torse. De toute façon, les poils, c’est ringard. Tu devrais y réfléchir, Véronique, si tu vois ce que je veux dire…L’allusion à sa pilosité intime, quelque chose comme L’origine du monde qui aurait débordé du cadre, lui fit piquer un fard avant qu’elle ne s’embarque dans une brève mais rageuse diatribe. Pour résumer, les mecs de droite étaient des pervers, d’innommables porcs phallocrates, bref, des gros dégueulasses. Voilà qui ouvrait des horizons.
- Evidemment, Bouray sur son John Deere, il ne risque pas de ramasser une auto-stoppeuse, j’ai ricané.
- Et Lenain-Kossar, hier soir, tu l’as vu avec ses blondasses ?
- On peut pas discuter politique avec toi. Tout de suite, tu montes sur tes grands chevaux.
- Juste sur mon petit tracteur. Et puis, rentre ta panse à bière, me moucha-t-elle en tirant la langue.Pendant que devant la penderie, j’hésitais entre mes deux costards (deux pour le prix d’un – les deux mêmes effectivement – achetés lors de la liquidation du magasin Brice) je l’entendis chuchoter au téléphone. Véronique sollicitait l’avis de son patron, le docteur Rabajoie, sur l’éventuel déclenchement d’une maladie bipolaire chez un mari traumatisé par le résultat de la présidentielle.  

A l’angle du boulevard, le buraliste riboula des yeux lorsque je me suis retourné de devant le tourniquet à journaux.
- Hé oui, ça vous change un homme ! j’ai lancé en me lustrant le casque de deux doigts peau de chamois.
- Ha, je n’avais pas remarqué, marmonna t-il, mesmérisé par Le Figaro brandi sous son nez.
Lui, le lève plus tôt que les lève tôt, racketté par les vampires de Bercy, dépouillé par les chacals de Bruxelles et promis au génocide des buralistes ourdi par l’Organisation Mondiale de la Santé, je le soupçonnais sans raison objective de lire Minute ou Rivarol en cachette dans l’arrière boutique. Depuis notre installation rue du Vice- amiral - d’escadre Barangerski ( héros de la bataille de Tsou Shima), chaque matin je lui achetais Libé. Et Charlie le mercredi. Uniquement pour activer sa bile. Une fidélité haineuse de trente ans comme en témoignait, quelque part au grenier, l’édition spéciale du quotidien parfumée à l’encens lors d’une venue du pape.  
- Un euro dix, m’sieur Marchaudon.
- Un euro dix ? C’est…
- … y’a du monde qui attend, m’sieur Marchaudon, coupa t-il en s’adressant par transparence au client suivant
- Savez comment les riches font leur pelote ? j’ai insisté. En économisant ! Regardez, moi, je suis de droite depuis tout juste huit heures et j’ai déjà gagné dix centimes. Dix centimes d’euro, hein, c’est pas rien. Soixante-cinq centimes de franc. Presque une baguette de dans le temps.
- Devriez essayer Le Parisien, a croassé une voix féminine derrière moi. Soixante-quinze centimes d’euro. A ce prix, on en a pour son argent !Sous une permanente peroxydée et une couche de fond de teint susceptible d’aiguiser la libido d’un archéologue, la patronne de Pieds Nickel’s, possédait un vague air de Brigitte Bardot. Bardot période diva des chenils. Habituellement, elle faisait, côté verso, au moins une fois par semaine, le bonheur des élèves du tout proche collège Saint-Martin en réagençant la vitrine du magasin, le string remonté jusqu’entre les omoplates.  
- C’est de droite, Le Parisien ?
- Mieux que ça : toujours du côté du manche !
-Décidément, les femmes et la politique… Qu’est-ce que le grand Charles a été leur foutre le droit de vote… Pfuuu… Les législatives, m’dame, vous y avez pensé aux législatives dans un mois ? Pour peu qu’on débouche sur une cohabitation, imaginez un peu le manche où vous pourrez vous le mettre !Jusqu’au milieu du trottoir où je dépliais ce journal simplement consensuel avec l’air du temps, me poursuivirent des railleries poujadistes. Sodomite ( en plus vulgaire ) y rimait pauvrement avec défroqué. Fréquenter d’honnêtes gens s’avérait vraiment le seul risque des situations aventureuses.Sur l’esplanade du Docteur Rémy (fondateur de l’hospice Saint-Mangeroux) l’enseigne du Rendez-Vous semblait clignoter avec une ardeur inhabituelle. Elle aussi en mettait déjà un coup. Devant le percolateur, Gégé, le patron, devait porter un poignet de force. Et Nadine, sa femme se limait les ongles directement sur le clavier de la caisse. Travailler plus pour gagner plus, autrement dit crevez-vous à la tâche, vos héritiers s’en mettront plein les fouilles : le mot d’ordre avançait au pas de charge. De toute façon, il fallait s’y coller à la première heure sous peine de ne jamais rattraper les autres. Comme un athlète qui prendrait le départ du marathon de Paris avec un quart d’heure de retard sur les autres concurrents. Allez savoir si dans les centrales nucléaires, les gars de l’EDF n’envoyaient pas la sauce à plein bouillon, histoire de mettre le pays en danseuse. Puisque un électeur socialiste de mon acabit avait jugé raisonnable de se rallier au panache blanc du président Lenain-Kossar, pourquoi pas toutes ces grosses feignasses syndiquées de fonctionnaires ?
Il n’existait meilleur endroit que la brasserie pour en avoir le cœur net. Chaque matin, les dernières nouvelles y prenaient une dimension cosmique entre cadres des firmes installées dans les tours environnantes et vendeuses des boutiques du centre commercial. Evidemment, j’y faisais quasiment figure de militant d’Action Directe. Pour ceux qui en avait entendu parler. D’original un peu toqué pour les autres.
Comment un homme de droite se comportait-il au bureau ? La question m’a effleuré le temps de traverser la dalle jusqu’au Rendez-Vous. Depuis toutes ces années, responsable distribution consommables périphériques micro chez B.H.M, un certain nombre de collègues m’avaient ouvert les yeux. En définitive, la réponse tenait en un mot : le pouvoir. Plus exactement le désir de pouvoir. Un terme pudiquement maquillé sous l’appellation « responsabilités ». Mais la droite n’était plus seulement la droite. Elle se voulait désormais « décomplexée ». Dans cette hypothèse, peut-être devais-je, avant midi, exposer mes « ambitions ». Ce serait fait aux lavabos ou devant la machine à café dès la première rencontre avec le directeur distribution générale. Ensuite, il conviendrait, en réunion, de souligner la moindre part de marché gagnée sur la concurrence, de lui accorder l’importance d’une victoire quasi définitive, l’avenir nous le dira, remportée au prix d’un effort constant doublé d’une part de ruse inspirée par la toute nouvelle stratégie blablabla. A part ça, à l’impossible tout le monde serait tenu, moi le premier, les projets, pardon, les défis de la direction, constitueraient toujours d’excitants tchalaineges et les suggestions du moindre supérieur hiérarchique seraient autant d’idées géniales. A toutes les problématiques existerait un solutionisme. Toc ! Il fallait également communiquer, s’ouvrir aux autres, de préférence à tout ceux qui émargeaient à des indices stratosphériques afin de débiner, au détour d’un conversation, l’air de ne pas y toucher, toute ombre humaine portée à son propre plan de carrière. Au bout du compte il suffisait de considérer les collègues comme les amants de sa femme avec la volonté de leur en faire baver des ronds de chapeau jusqu’à ce qu’ils démissionnent, tombent en dépression ou se résignent à n’être que de pauvres loques au fond d’un bureau dont on ne sollicite jamais l’avis. Facile. Le contre-pied exact de mon comportement habituel en chaque occasion.

N’empêche… Tout au fond de moi, une petite voix moqueuse rabâchait qu’on ne se déclarait pas de droite, comme ça, sur un coup de tête. Il existait sinon un gène de la droite, du moins un atavisme conforté ou balayé par l’expérience de la vie. Une semaine plus tôt, je rêvais encore d’un destin à la  Vichinsky, le procureur des procès de Moscou et de requérir, une balle dans la nuque, la facture à la famille, contre les publicitaires, les pavillonneurs, Patrick Montel, les garagistes, les conseillers en communication, Bernard Tapie, les dentistes, les informaticiens, les producteurs de télé réalité, les Chinois et leurs tournevis, marteaux, perceuses, serre-joints merdiques, les coaches en développement personnel, les perlimpimpinthérapeutes, David Douillet, les responsables du courrier des lecteurs dans les journaux, les animateurs radio de la parole aux auditeurs, les faciliteurs de crédit, Michel Drucker, les cellules d’aide psychologique, la mère Poulard, les chargés de formation, les importateurs de meubles suédois à monter soi-même fabriqués en Corée, Max Lampin, les marketing managers, les pipoles et leurs frasques à la devanture du buraliste, les deux abrutis du 118 218, les omegas trois, Guy Roux en survêtement… J’aurais du noter. Etablir la liste noire de ceux qui contribuaient à repeindre le monde idéal auquel j’aspirais aux couleurs de l’enfer. Ah, ils y seraient tous passés, tac, tac, tac, ces parasites sociaux de la manipulation mentale, rentiers de la gloire, fourgues de denrées frelatées made in Slaveland aux yeux bridés, distillateurs médiatiques d’un subliminal venin libéral. Il me faudrait désormais les ignorer, conserver un mutisme prudent lorsque leurs noms animeraient une discussion de bureau. Tel était le prix à payer pour accéder à l’âge de raison et aux bassins de l’Hôtel de Ville les soirs d’élection. En échange, gagnant-gagnant, vous envahissait la béatitude de se sentir enfin adulte responsable, emporté par la foule et cette convivialité d’un soir qui cimentait les individualismes et redonnait confiance en l’homme. Qui osera dire qu’être de gauche et se soucier des exclus tenait en vérité du pur égoïsme ? Et même du nombrilisme. Hein, je vous le demande ?

A quelques mètres du Rendez-Vous, dans le renfoncement d’une boutique désaffectée, une bande de punks à chiens sommeillaient sous des duvets étalés à même le béton. Ni une, ni deux, j’ai effectué le détour, fouillé mes poches et quelques euros de ferraille atterrirent entre les boîtes de 8.6 vides. Aux orties le principe selon lequel aider les pauvres les détournait de toute aspiration révolutionnaire. L’heure avait sonné de réhabiliter la charité, d’en finir avec l’assistanat. A vot’ bon cœur et tant pis, pas d’ma faute, si depuis la veille le cœur s’avérait davantage à l’ouvrage que sur la main.  

Au travers de la vapeur tropicale du percolateur mêlée à la fumée des cigarettes, mon entrée au Rendez-Vous provoqua un blanc de quelques secondes, le temps pour les habitués de me coller une perruque virtuelle sur le caillou.
- Bon Dieu, Marchaudon, t’avais parié ta crinières sur Célimène Lempreur ? a pronostiqué Joffroy, un commercial de chez Assur’ Immo.
- Moi, la socialo, je l’appelle Cérumen, s’est gaussé Berthom, responsable d’une plateforme d’appels téléphoniques. Tu ne me diras pas qu’elle n’était pas bouchée aux changements qu’on attend tous, ta championne ?

Alentour plusieurs clients firent mine d’essuyer une larme furtive avec leur cravate tandis que les vendeuses, coiffeuses et autres créatures écervelées jacassaient ou demeuraient aimantées par l’écran de leur téléphone portable. Il était l’heure du comin’ out. Je me suis dirigé vers la télévision posée au fond de l’établissement et qui, sur LCI, diffusait en boucle des images de la soirée triomphale. Lenain-Kossard devant son Q.G de campagne sous une pluie de serpentins argentés. Une Rolls blindée aux vitres fumées remontant au ralenti les Champs-Elysées entre une double haie de gyrophares. De Rennes à Marseille, de Bordeaux à Lyon, les mêmes scènes de liesse populaire, voitures hérissées de drapeaux, jeunes gens hilares dans des fontaines, chœurs de Marseillaise devant les hôtels de ville ou les permanences de l’Unit’ Maj’ Popu’. Lenain-Kossard arrosant ses supporteurs dans une boite de nuit avec un jéroboam de champagne – gros plan sur l’étiquette - puis dansant une sorte de kazatchok endiablé face à son épouse, la princesse Mary-Pierre de Chaumussay-La-Claise en pantalon de cuir estampillé Konezoo – gros plan - en lettres de strass sur la fesse gauche. Le couple quittant les lieux, lui veste sur l’épaule, elle brandissant une bouteille de bourbon fortement entamée. Les Lenain-Kossard filant sur les quais de Seine au petit jour à bord d’un cabriolet italien encadré par la garde républicaine à cheval…
- Regarde Pamela, c’est beau l’écharpe blanche de la princesse qui flotte au vent, a fait remarquer une fille à sa voisine.
- Oooooh oui, on dirait la traîne d’une mariée.
- Putain, il a pas peur des contrôles d’alcoolémie, s’est esclaffé un moustachu, employé à la chaufferie du bloc d’immeubles.
A l’écran, le président ressortait au petit trot sur le perron de L’Elysée, short, T-shirt et quatre flics en tenue de jogging pare-balle au train.
- Pas possible, il s’est fait une ligne sur la cuvette des chiottes, n’a pu s’empêcher madame Touitou, la gérante de la parapharmacie.
- J’espère tout de même, a poursuivi le moustachu persifleur, qu’il a pris le temps de lui en coller pour ses cent sous à la princesse. C’est le jour ou jamais de la gâterie atomique !
Une trentaine d’yeux maquillés le fusillèrent d’une volée de pupilles au plomb comme s’il venait d’enlever à la moitié de l’humanité l’espoir de satisfaire un jour les fantaisies du président en échange des petits secrets de la République. Indifférent à ces enfantillages, j’ai fendu la foule jusqu’au pied du téléviseur devant lequel, à trois reprises, je me suis prosterné, serein, la mine empreinte d’une illumination de pentecôte. Un geste accueilli par une bordée de huées, sifflets et diverses railleries. Un anonyme se permit même de comparer mon attitude à celle des mauvais citoyens qui volèrent au secours des Bleus au soir de la victoire lors de la coupe du monde 98. Me dire ça à moi, moi qui avais au plus fort de la critique, défendu bec et ongles la clairvoyance tactique d’Aimé Jacquet. Face à la meute, œil du tigre et paumes en avant, j’ai obtenu un répit.
- Mes amis, mes amis, n’imaginez pas la moindre provocation dans ce geste. Comme Paul Claudel derrière le deuxième pilier de Notre Dame lors des vêpres de Noël 1886, j’ai eu, hier soir, une révélation. Que dis-je, LA révélation. Une chaleureuse ovation anticipatrice accueillit cette confession dont la sincérité portait déjà ses fruits. Du moins ses bourgeons. A une table proche, une luisance humide éclairait les yeux de Sabrina, la manucure stagiaire du salon d’esthétique et ça sentait sous huitaine la pizza quatre saisons partagée sur un banc de la dalle avant de faire plus ample connaissance.    
- Oui, Nicolas Lenain-Kossar est grand et je serai non pas son prophète mais l’humble colporteur du lumineux dessein qu’il entretient pour notre pays, ai-je repris le cœur battant. Seuls les imbéciles et les garagistes ne changent jamais d’avis. Non, je n’ai pas changé. Enfin pas vraiment. Hier soir, j’ai compris qu’en vérité le président partageait mes idées.
Ce fut un intense moment de fraternité. Comme une réintégration dans la communauté des hommes et des manucures, tapes, embrassades, accolades, il est des nôôôtreux, il vote à droite commeux les ôôôtreux ! Certains s’étonnèrent de mon peu de considération envers les garagistes, d’autres sollicitèrent quelques éclaircissements quant à la notion de changement que j’eus la subite et subtile intuition de comparer à un va et vient électrique. Et les cafés se succédèrent jusqu’à l’heure de l’embauche. Avec une telle dose d’énervement liquide, madame Marchaudon devrait manifester ce soir de réelles compétences centristes avant de m’apaiser…
C’est là, en quittant le Rendez-Vous que Pignard, le délégué CFTC de La Française de compost végétal, jusqu’alors rencogné à l’extrémité du comptoir me prit par l’épaule.
- T’as un peu suivi les Bourses asiatiques ce week-end sur le Net ?
- Heu, non.
- A Shanghai, les Indiens de Silver Quick s’intéressent au fonds anglais Parmieri qui possède ta boîte. Maintenant, ils en détiennent trente neuf pour cent.
- Et alors ?
- Ben, passé le seuil de trente pour cent, la loi anglaise les oblige à lancer une OPA. Et elle a toute les chances de réussir. Ils proposent trente cinq euros par action ce qui valorise Parmieri à plus de deux milliards d’euros.
- Bon Dieu, c’est de la folie !
- Pas tant que ça. Les Indiens vont faire comme avec les pompes à chaleur Bouinec. Tout délocaliser en Tunisie pour réduire les coûts d’exploitation.
- En Tunisie ?????
- Oh, un homme de droite comme toi est sûrement d’accord pour aller sucer des dattes et des olives à Tabarka !
- Mais, mais, je…
- Oui, jusque là, t’étais de gauche. Ben, ça t’apprendras à bouffer dans la gamelle du chien.      




                                                                                            

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